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« On pèse, et on limite le foin-regain à 18 kg/vache/jour »

En pilotant ses vaches à l’œil, le Gaec Jacques a économisé 2 à 3 kg de foin par laitière et par jour sur l’hiver, en produisant plus avec moins de concentrés.

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Revenu en 2016 sur l’exploitation familiale après une parenthèse de dix ans hors agriculture, Jean-Baptiste­ Jacques a suivi plusieurs formations pour remettre à jour ses connaissances de Bac pro. Parmi elles, celle sur la méthode Obsalim proposée par l’ADFPA (1) a définitivement changé la façon d’alimenter les laitières du Gaec Jacques­. « Pendant trente ans, on nous a dit que pour produire beaucoup de lait, il fallait que les vaches en aient toujoursplein la gueule à disposition. Jusqu’au jour où une voix dissonante, celle d’un vétérinaire, nous dise que si on en donne trop, la vache ne produit pas le lait en plus attendu, mais bouse à coup sûr davantage. On a testé et on a été convaincus », résume le père de Jean-Baptiste, Jean, qui l’a accompagné à la première des deux formations suivies, de trois jours.

Obsalim : quèsaco ?.

Mais en quoi consiste cette méthode, mise au point dans les années 2000 par Bruno Giboudeau, vétérinaire dans le Jura, et qui a depuis fait nombre d’adeptes ? Principalement à établir le lien entre des observations sur le troupeau et les vaches, afin d’identifier un éventuel désordre alimentaire. En pratique, ce sont cent cinquante signes, concernant les yeux, les pieds, les poils, la robe, les bouses ou l’urine, que le vétérinaire propose aux éleveurs d’identifier en vue de caler leur ration. Ils sont répertoriés façon jeu de soixante cartes (disponible aussi via une application sur smartphone, au prix de 60 €), chacune étant associée à une note renvoyant à quatre origines possibles d’un dysfonctionnement alimentaire : excès ou déficit d’énergie, d’azote, de fibres, et stabilité du rumen. En faisant la somme des notes des cinq ou six signes majeurs observés sur le troupeau sur trois sites, on s’oriente vers un diagnostic des facteurs les plus limitants à corriger.

Une fois la correction apportée, l’éleveur en voit très rapidement les effets, en premier lieuavec les galettes de bouses qui peuvent être réalisées : une autre idée pratique mise au point par ce vétérinaire pour évaluer l’évolution de l’efficacité de la digestion (voir encadré p. 55). Jean-Baptiste a, pour sa part, ses signes fétiches. En priorité, il scrute la zone dite « pHG » (G comme Giboudeau) à l’arrière de l’épaule (voir encadré p. 56) : « Les vaches s’y lèchent s’il y a un pic d’acidose dans le rumen. Et il est facile de repérer les poils redressés. » Il suit aussi les yeux : « Des croûtes jaunes de type cristaux peuvent signer un excès d’azote, des croûtes noires, un excès d’énergie. » Et ajoute : « Trop de vaches bousant en salle de traite ou des nez qui coulent peuvent indiquer que le troupeau ingère trop de fourrage. Mais ce sont des signes que l’on n’observe presque plus aujourd’hui. »

« On mesure en moins de deux. jours si le réglage est le bon ».

L’examen des bouses, plus ou moins consistantes, collantes, étalées, fait aussi partie des signes basiques qu’il observe en routine. Mais au-delà, dès que l’écart entre le lait permis par la ration et le lait produit par vache, mesuré chaque soir au tank, est jugé trop important, Jean-Baptiste sort le « presse-bouse » calibré, l’outil utilisé pour fabriquer une galette. « Après un réglage alimentaire, je mesure en moins de quarante-huit heures s’il était ou non judicieux. Et au besoin, je joue sur un autre levier. »

C’est au cours de l’hiver 2017-2018, celui de la première formation suivie, que l’effet des réglages alimentaires a été le plus spectaculaire. « Avec les 21 kg de foin-regain distribués estimés et les 6,5 kg de concentrés par vache, on soignait pour traire 32 litres, mais au final, nos 60 montbéliardes tournaient à 21 l. » Le diagnostic Obsalim est limpide : « Des vaches qui se lèchent derrière l’épaule et bousent couchées, une barre de poils hérissés à la verticale de l’épaule (appelée barre de saturation”), des bouses collantes signalant la présence d’amidon non digéré et avec des fibres longues, une galette de plus de 2,5 cm… » Ici, tout indique une forte instabilité ruminale, liée à une ingestion de fourrages trop importante. Les conseils reçus seront donc suivis à la lettre.

Le Gaec investit rapidement dans un peson monté sur la griffe à fourrages (3 000 €). Cela afin de distribuer précisément 18 kg de foin-regain/VL/j, la moitié le matin, la moitié le soir, en commençant toujours par le foin, suivi du regain trente minutes après… « Avant, on posait une montagne de fourrage devant le cornadis, sans rien peser. À 14 h 00, on pouvait ainsi avoir quinze vaches au cornadis. Aujourd’hui, ce sont trois ou quatre. Toutes les autres sont dans leurs logettes. » Depuis cet hiver-là, d’évidence, le fourrage n’est plus repoussé dans la journée pour stimuler l’appétit. Prio­rité au temps de rumination des vaches couchées dans leurs logettes.

Sur ce plan, un autre détail d’importance : la limitation de l’accès au Dac qui, auparavant, était ouvert 24 h/24. Depuis quatre hivers, les laitières n’y ont accès que de 9 h à 13 h 30, après avoir été bloquées au cornadis le matin et avoir préalablement reçu leur fourrage à partir de 8 h. Le Dac est rouvert de 19 h à minuit. Elles y reçoivent leur VL, les apports de tourteaux se faisant en salle de traite. Cette année, le Gaec a renouvelé ses Dac avec une troisième station afin que les laitières, dont le nombre est monté de 60 à 70, retournent le plus vite possible ruminer à leurs logettes. « Les vaches n’ayant pas accès au Dac avant 9 h, quand on allume vers 6 h, quasiment toutes sont couchées. Il est alors facile, au fur et à mesure qu’elles se lèvent, de repérer les chaleurs. Auparavant, il fallait revenir dans la journée pour cela. »

10 vaches traites en plus,. 27 t de fourrage économisées.

Cette nouvelle organisation des repas ne s’est pas faite aux dépens de la production laitière, loin de là. Après réglage alimentaire sur ce premier hiver, les vaches ont gagné 2 litres de moyenne, à 23 l/VL/j. Et cela avec près de 40 g de concentré en moins, à 250 g/l. Les trois hivers qui ont suivi, le troupeau a encore progressé. En 2019-2020, il est monté à près de 28 l/VL de moyenne, avec 220 g/l de concentré… Une performance boostée aussi par la qualité exceptionnelle des fourrages de 2019. Cet hiver-là, les vaches pointaient, fin janvier, à plus de 25 l/VL, avec 206 g/l de concentré (voir infographie). « En limitant le foin-regain à 18 kg/VL/jour, au lieu de 21 kg, on a économisé l’équivalent de 27 tonnes de fourrage pour nos 60 laitières, menées au moins 150 jours à l’hivernage. »

C’est ainsi que cet hiver, le Gaec a trait une dizaine de vaches de plus avec le même stock fourrager et la même quantité de concentrés achetés que l’hiver 2019-2020. Pour être sûrs des quantités de VL distribuées, comme ils le sont du foin-regain­ journalier, Jean et Jean-Baptiste ont aussi pris l’habitude de tarer très régulièrement leur Dac. « On le fait une fois par mois, à chaque livraison d’aliment. Cela ne prend que quinze minutes », note Jean-Baptiste. Il serait dommage de s’en passer, vu qu’à chaque fois, « on corrige une erreur de l’ordre de 7 à 15 % avec la tare étalon », constate-t-il.

La question de la précision à gagner sur la distribution du tourteau se pose aussi aujourd’hui avec les dix alimentateurs mécaniques vieux de dix ans, installés en salle de traite. « On croyait donner 500 g à chaque coup de tirette. En réalité, ce n’est en moyenne que 410 g, avec des écarts allant de 390 à 560 g. » Pour cette raison, le Gaec envisage, à terme, de distribuer une partie de ces tourteaux au Dac.

Hiver 2018-2019 : Les vaches. calaient sur la luzerne.

Le deuxième hiver, 2018-2019, Jean-Baptiste et son père ont touché du doigt toute l’importance de l’ordre de distribution des fourrages. Pour pallier le déficit de foin-regain­ récolté cette année-là, ils achètent de la luzerne brins longs. Par facilité, c’est en début de repas le matin que les 4 kg journaliers de luzerne sont donnés, en une seule fois, avant le foin. Les 3 kg de regain sont apportés le soir. Très vite, Jean-Baptiste constate que les 22 kg de lait attendus ne sont pas au rendez-vous. Et les signes observés ne trompent pas – zone pHG activée, bouses élastiques, œdème des yeux, ingestion rapide –, qui renvoient à un problème de stabilité du rumen. « Les vaches se jetaient sur la luzerne, certaines calant dessus », se rappelle Jean-Baptiste. « À l’analyse, elle s’est révélée acidogène pour le rumen. On croyait donner un fourrage produisant un effet tampon, c’était en réalité comme un concentré acide. » La décision est prise de réorganiser les repas et de les commencer par un vrai fourrage. La distribution de la luzerne est fractionnée matin et soir, avec à chaque fois les 2,5 kg prévus, après 3,8 kg de foin et avant 3 kg de regain. Le résultat, cette fois, sera vite au rendez-vous. Le lait par vache mesuré au tank passe de 21 l à presque 24 l, avec 60 g de concentré en moins par litre.

Hiver 2020-2021 : abandon. du tourteau enrichi à la pulpe

Cet hiver, le Gaec Jacques a réglé à l’œil un autre problème : le choix du type de tourteau distribué en salle de traite. Constatant après analyse que leur foin de 2020 manquait de sucres, les éleveurs décident de démarrer l’hivernage avec un tourteau 34 dosant 30 % de pulpe de betteraves. Matin et soir, 410 g en sont distribués à la traite. Le résultat est décevant : les vaches sont à 23,6 litres de moyenne, au lieu des 26 l permis. « On avait des vaches qui calaient sur le foin, pourtant de bonne appétence, avec la barre de saturation caractéristique. La hauteur de la galette de bouse était en revanche normale, à moins de 2 cm. » Pour tenter de diminuer la présence observée de fibres longues dans les bouses, Jean-Baptiste essaie de monter la quantité journalière de tourteaux à 1,2 kg (820 g le matin, 410 g le soir). Très vite, sur 3 ou 4 jours, il constate la présence de fibres plus courtes dans les bouses, et la hauteur de la galette a diminué ; mais rien n’y fait côté ingestion : les vaches calent encore plus sur leur repas de foin.

La solution viendra du changement de correcteur azoté. « Si les vaches calaient sur le foin, c’est que ce tourteau enrichi en pulpe était distribué en salle de traite. Il aurait fallu le donner au Dac, pour éviter qu’il ne gonfle dans la panse, les vaches s’abreuvant largement dès qu’elles sont sorties de la salle de traite, avant de recevoir le foin au cornadis. » Depuis que le troupeau tourne avec 0,8 kg d’un tourteau 34 dosé avec 15 % d’orge comme source de sucres, cet effet délétère de la pulpe donnée à la traite a disparu. Les vaches pointaient début février à 25 l de moyenne, avec au total 6 kg de concentrés.

Jean-Michel Vocoret

(1) Association départementale de formation et de perfectionnement agricole.

© J.-M. V. - Test. À gauche, le résultat de bouchons du tourteau, avec 15 % d’orge, après quinze minutes dans un verre d’eau. À droite, celui du tourteau enrichi en pulpe, rapidement pris en bloc. On comprend aisément pourquoi une fois ce dernier dans la panse, les vaches passées à l’abreuvoir calaient ensuite sur le foin.J.-M. V.

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